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Photo du rédacteurGermain Malette

Les plus jolis yeux du monde…

Aimée Le Rouge – E. LANSYER

…Jean rêva quelques instants, hésita, puis dit avec brusquerie :

— Tu te trompes pourtant, moi qui suis orphelin depuis le berceau, auprès duquel tu n’as jamais vu une tendresse féminine, j’ai pourtant dans un coin perdu de Bretagne, une sorte d’ange gardien. Mon Dieu oui, l’humble et dévouée créature qui m’a bercé, cajolé ; une espèce de parente pauvre que ma famille avait recueillie, et qui s’est trouvée là, juste à point pour élever l’orphelin, lorsque le bâtiment qui emportait mon père et ma mère vers je ne sais plus quelle terre lointaine, sombra au fond de l’océan. Elle doit avoir un nom, comme tout le monde mais moi je l’ai oublié. Je l’appelle « ma Douce ». Elle porte la coiffe des filles de Douarnenez, l’étroit corsage de velours, la petite croix d’or sur sa guimpe de tulle, tiens, regarde.

D’un geste prompt, il ouvrit une vaste armoire, en retira une toile qu’enveloppait des linges fins. Mise à nue, l’image apparut : l’image classique de la Bretonne dans sa toilette d’apparat. Et ceci n’eût été que banal, s’il n’y avait eu le don prodigieux du véritable artiste , la nuance délicate des couleurs, le ton chaud du doux paysage d’Armorique et surtout la beauté presque immatérielle du visage. Un visage, déjà marqué par le temps, où l’âge avait posé ses griffes, mais qui demeurait jeune et pur, par l’éclat admirable des yeux. Ils avaient, ces grands yeux de femme, ni bleus ni mauves, des transparences de sources, et des reflets moirés d’océan ; ils étaient d’une incomparable splendeur.

— C’est elle, dit Jean, c’est ma Douce. Elle est tout ce que j’aime au monde ; tout ce qui m’aime aussi. Ce qu’il y en moi, le peu que je vaux, c’est à elle que j’en suis redevable. Mes parents m’avaient vie; elle a fait mieux, elle m’a donné une âme. C’est que je veux être, un jour, une espèce d’homme célèbre et non le banal fonctionnaire d’un moins banal ministère. Je me suis juré que ma Douce serait fière de moi.

— Et c’est sans nul doute ceci que tu comptes exposer au Salon ?

— Evidemment. Je ne ferai rien de mieux que ce portrait. Je ne retrouverai jamais une inspiration pareille.Georges approuva :

— Il est bien. Il est même très bien. Je te prédis un grand succès.De nouveau, la souple mousseline retomba sur le doux visage de la Bretonne ; la toile reprit sa place au fond du vieux placard, et revenant vers son ami le jeune peintre lui dit, en lui montrant un coin du divan.

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