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Photo du rédacteurGermain Malette

Eté 1907 – Rapide passage en notre cité

Le Touring Club de France,

fondé en 1890 a, dès ses débuts, publié une revue dont est tiré l’extrait qui suit relatant le voyage d’un petit groupe – amis ou famille – autour de la baie en été 1907. Nous ne saurons rien d’eux, lisons seulement ce qu’ils nous ont laissé, notamment la promenade “de la Route Neuve” de vos aïeules qui ont retenu avec admiration leur attention.

Quelques photos de la même année – 1907 – de lieux, de moments qu’ils ont pu partager.

Dimanche 15 juillet 1907 – à partir de Morgat….

…Nous expédions donc nos bagages par le bateau qui fait le service de Morgat à Douarnenez à partir du 15 juillet. Nous partons, à bicyclette, par Crozon et Telgruc. Au pied du Menez Hom, nous nous arrêtons.

Ferons-nous l’ascension de la montagne sacrée des Bretons? Les descriptions des Le Braz et des Le Goffic nous y attirent. « Cette humble cime de 330 mètres commande un vaste horizon de terres et de mers. Elle a conservé son aspect primitif, son air inviolé d’autrefois. On y peut voir des troncs et genêts plusieurs fois séculaires. Les bestiaux y viennent brouter, mais l’homme n’a pas encore osé désaffecter cette terre: elle est restée ce qu’elle était il y a 1200 ans, une colline vierge, une sorte d’oasis du rêve. » C’est vrai. Mais aujourd’hui une brume épaisse flotte autour de nous comme un voile gris, et la tête du Menez Hom est dans les nuages. Nous ne verrions rien que ces nuages. Nous prenons le sage parti de contourner les contreforts de la « montagne », et de rouler sur Douarnenez en longeant du plus près possible les contours de la baie, et en poussant de temps en temps une pointe vers les points intéressants.

De cette étape assez dure (60 kilomètres seulement, mais accidentés), nous garderons quelques souvenirs très particuliers. Le souvenir de quelques éclaircies qui subitement nous donnaient, par delà le moutonnement des landes vert sombre coupées çà et là de grands pins parasol que le vent faisait chanter, une échappée sur la courbe bleue du golfe, sur l’immensité grise de la mer.

  1. Le souvenir d’un joli petit hameau niché au creux d’une vallée, serré autour de son église comme un troupeau autour de son berger : Saint-Nic.

  2. Le souvenir d’une arrivée pittoresque, vers midi, dans le bourg de Plomodiern : c’était l’heure de la sortie de la messe, et les fidèles se groupaient sur les marches usées, tous en costumes, les hommes en gilet bleu-de-roi à deux rangs de boutons dorés et à pattes de broderies jaunes, les femmes en bonnet brodé et les petites filles en bonnets à trois pièces, pailletées d’or ou d’argent.

  3. Le souvenir, moins poétique, de la surprise d’un déjeuner fort simple, mais bon et propre, dans une auberge infime et au premier abord un peu effrayante de ce même village.

  4. Le souvenir d’une pointe poussée vers la mer, à Sainte-Anne de la Palud et au delà. Sainte Anne de la Palud, l’humble église d’un des plus grands « pardons » de Bretagne, le Pardon de la Mer, cachée au pli d’un ravin, garantie des vents d’ouest par une muraille de grands arbres que les tempêtes semblent avoir taillés et rabattus sur son toit. Au delà, un promontoire désert, couvert d’herbe fine, et dominant « une lieue » de grève déserte.

  5. Le souvenir d’une halte à Locronan, où malheureusement nous ne pouvons bien voir qu’une vieille et curieuse église et où la brume nous voile encore le site merveilleux « d’où la vue s’étend plus à l’aise que partout ailleurs sur un décor éternel et changeant, sur la courbe harmonieuse des grèves, sur l’immense étendue des landes de fougères et de broussailles coupées de ravins, bosselées de collines, que domine le sommet arrondi de Saint-Ronan. » Un jeune gendarme que nous rencontrons au-dessus de l’église nous parle avec enthousiasme de la beauté du pays, et des troménies qui s’y déroulent tous les sept ans.

  6. Enfin, le souvenir de l’arrivée à Douarnenez d’une descente rapide sur la plage triste, mais d’une tristesse large, des Grands-Ris.

Douarnenez même, au premier abord, nous paraît relativement banal. Par des rues sans beauté, mais non sans saleté, nous allons avant le dîner jusqu’au port. Là, déjà, beaucoup de mouvement : des centaines de marins défilent silencieusement par groupes de trois ou quatre, le petit béret sur l’oreille, le bissac sur l’épaule. Ils embarquent, hissent leurs voiles rouges, et dans une heure il semble que tous ces bateaux seront partis à la recherche de la sardine: recherche presque vaine depuis quelques années.

« Ce que nous vendions 10 francs il y a 3 ans en vaut 50 aujourd’hui, et avec ça nous mourons de faim », nous dit une femme de pêcheur.

Nous rentrons dîner à l’hôtel de France.

« C’est dimanche. Si vous allez faire un tour rue Duguay-Trouin vous y verrez toutes nos petites sardinières, et même quand la sardine ne va pas et que le pain manque, la toilette ne manque pas» nous dit nôtre hôtesse. Nous allons faire un tour. Qui donc me disait que les Bretons ont le don de se grouper toujours en tableaux harmonieux? C’est absolument vrai. Ce soir nous vérifions une fois de plus cette remarque. Pendant une heure, dans la rue Duguay-Trouin, et sur l’immense viaduc qui passe par-dessus le bras de mer de Pouldavid, et par delà le viaduc, dans la campagne assoupie, nous rencontrons par centaines des groupes de jeunes filles qui cheminent trois par trois, la main dans la main, coquettement coiffées de leur bonnet à larges ailes blanches, coquettement drapées dans un châle à la vierge, de couleur claire, frangé de longues soies. — Surtout dans ce décor de Pouldavid, la marée haute remplissant jusqu’aux quais l’estuaire large et profondément encaissé entre des collines de verdure, la ville étagée en amphithéâtre, l’horizon du côté de la mer fermé par une brume vaporeuse, où brûlent au loin les feux de l’île Tristan, et surtout à cette heure où « le voile des nuits sur l’Océan se déplie » — ces tableaux sont pittoresques au possible.

« A Douarnenez, en Bretagne Le cœur des filles ne se gagne ».

Lundi 16 juillet. – Nous partons à 8 heures du matin, en chemin de fer, jusqu’à Audierne. Tramway plutôt que chemin de fer, et avec plate-forme d’où l’on voit très bien le pays. C’est toujours la lande qni se déroule, avec le même caractère à peu près entre Douarnenez et Audierne qu’entre Crozon et Douarnenez. — En arrivant à Audierne cependant la vallée se rétrécit, et la voie longe une petite rivière, le Goyen, dont les bords boisés se relèvent en pentes assez raides.- C’est, en moins beau, le même aspect qu’aux bords du Trieux, avant d’arriver à Paimpol. —

Nous arrivons à Audierne à 9 heures et nous partons sans retard à bicyclette, laissant nos valises à l’omnibus de l’Hôtel de France d’Audierne, qui a une succursale à la Pointe du Raz. — Nous sortons d’Audierne par une longue montée, dont il nous faut faire une partie à pied. Les inévitables petits mendiants bretons nous accompagnent.

Ici, ils ont du moins la bonne idée de gagner leurs sous en chantant des complaintes de marin dont le rythme et les paroles sont lugubres, mais qui ne manquent pas de caractère. — La montée finie, un souffle plus vif nous fouette le visage, l’horizon s’élargit, devient subitement très vaste.

Les terres se soulèvent en longues houles, de teintes imprévues et neutres, où dominent les tons noirâtres des tourbières. Landes d’ajoncs, champs de bruyères, flaques d’eaux stagnantes, carrières abandonnées, dos de collines où pointent quelques clochers : Beuzec, Cléden-du-Cap, Primelin. C’est sauvage et triste. — La route, pendant 15 kilomètres environ, suit les crêtes en constante montées et descentes, d’ailleurs fort douces. Seule déclivité un peu forte : le Loch, profonde échancrure de mer, sorte de fond découpé comme à l’emporte-pièce dans les puissantes assises du cap Sizun. Il paraît que sous la poussée du vent d’ouest, du terrible « Kornog », les vagues s’engouffrent avec fracas jusque par-dessus la chaussée et vont s’abattre dans un étang marécageux, parmi les joncs et les roseaux. « Le Loch est un purgatoire de noyés », dit la légende ; « la veille de la Toussaint; et le soir, au soleil couché, les morts y hurlent, que c’est une pitié. (1) » Nous passons deux groupes de maisons massées en petits tas, basses, trapues, solidement enracinées dans le sol, tournant uniformément le dos à la mer. C’est Plogoff, puis Lescoff : les deux derniers villages de France, du côté de l’Atlantique. — Nous arrivons au bout de la terre habitée : une crête de gazon et de bruyères rasées, comme brûlées par les embruns. A gauche, la mer jusqu’au bout de l’horizon. A droite, la mer encore, coupée par l’autre pointe du cap, la Pointe du Van. Devant nous, au premier plan, un petit hôtel rustique, presque collé au sémaphore. Au second plan, un chaos de rochers, une muraille de granit qui s’avance et fend le flot comme une proue de navire. —

Plus loin, la mer toujours, où la main de l’homme a jeté le phare du Raz de Sein, et où les vagues toujours blanches d’écume viennent se briser sur les écueils de Gorlégreiz et de Gorlébella, et, à vingt kilomètres au large, sur l’île de Sein, et sur les récifs que signale le phare d’Ar Men.

Nous laissons nos bicyclettes à l’hôtel. Nous allons à pied vers la gauche, dans la lande de bruyères courtes, « sur un sol décharné dont l’âpre ossature de granit perce à chaque pas ». — Nous descendons, par un petit sentier de montagne, jusqu’au petit port de Bestrée, où deux ou trois barques de pêcheurs se balancent à l’abri d’une cale tout encombrée de paniers à homards. Trois pêcheurs — deux hommes, un enfant — y font silencieusement leurs préparatifs de départ. — Devant nous une autre barque aborde, ramenant du phare un des trois gardiens, qui a fini son tour de garde. Il a dû perdre, en son dur métier, l’habitude de la parole, car c’est à peine s’il échange un bonjour avec les gens du rivage. —En remontant sur la crête, un gamin qui nous a servi de guide découvre, sous une touffe de bruyères, un jeune hibou que nous l’empêchons de tuer. L’oiseau, effaré par la lumière et la terreur, n’est pas plus sombre ni plus muet que ces hommes que nous venons de voir vivre si silencieusement une heure de leur vie. Nous remontons déjeuner, et sans même prendre le temps d’expédier les inévitables cartes postales obligatoires à chaque étape des touristes contemporains, nous repartons à pied, avec un guide à la Pointe du Raz, seuls à la Baie des Trépassés. – Toute une longue après-midi, qui nous paraît courte et nous laissera de longs souvenirs, nous y restons, en escalades ou en rêveries. Escalades dans tout le chaos de la pointe, jusqu’au plus haut rocher de son échine de granit, jusqu’à l’étroite et vertigineuse plateforme d’où l’on voit s’ouvrir à ses pieds l’Enter de Plogoff, gouffre en forme d’entonnoir, où la mer s’engage et gronde avec de sourdes détonations, jusqu’à la paroi abrupte d’où l’on voit, en se penchant, le jour et la mer de l’autre côté d’une fissure qui perce comme un tunnel la masse du cap.

— Rêveries au sommet de la pointe, sur un rocher élevé de 80 mètres, d’où nous embrassons tout l’horizon, et d’où nous voyons passer, avec mille précautions, entre le phare et nous, une coquille de noix montée par trois marins visibles surtout à leurs vestes de laine rouge. — Rêveries devant l’étroit escalier taillé dans le roc, qui sert aux îliens de Sein, quand par exception ils viennent à terre. —

Rêveries devant la baie des Trépassées, les vagues qui y roulent avec un bruit de tonnerre un immense ourlet d’écume blanche, et les souvenirs des naufrages, et ceux de la ville d’Ys et de ses vieilles légendes.

Dans l’intensité des sentiments qu’inspirent les grands spectacles de la nature, comme les grandes beautés de l’art, entrent certainement pour une large part les puissances obscures qui agissent en nous sans que nous en ayons conscience, les dispositions morales où nous sommes. — Je veux dire qu’il y a une part « subjective », pour employer un mot pédant, mais irremplaçable, dans toute impression reçue. — Je conclus qu’il est possible que des personnes qui viennent chercher à la pointe du Raz une des beautés souveraines de la Bretagne et même de la France, y trouvent une déception. Je conclus que pour nous, ce jour-là, il n’y eût pas de déception. Tout était réuni pour qu’il n’y en eût pas. D’abord, les conditions extérieures : le temps était assez clair pour nous ouvrir l’infini de l’Océan, mais assez gris pour nous donner le vrai ciel de Bretagne, le ciel ardoisé et argenté qui convient le mieux à ces régions sauvages, sur lesquelles le soleil paraît ironique — ou trop gai. — Puis, les conditions « personnelles » : d’une façon générale, mon mari et moi, nous ne sommes pas disposés à la résistance ni au dénigrement, et nous sommes de l’école qui prétend qu’idéaliser ce n’est pas embellir les choses, c’est en voir la beauté ; — de plus, en ce moment, nous sommes sans doute particulièrement sensibles à ce que cette « fin de terre », par les aspects d’une beauté farouche qu’elle présente, et par les souvenirs de périls, de naufrages et de morts, de légende et de poésie qu’elle évoque, a de particulièrement, mais de largement triste. Le mot « largement » n’est pas ici pour la cadence de la phrase. Il vient naturellement sous la plume.

N’y a-t-il pas plusieurs sortes de tristesses, une tristesse déprimante et stérile, et une autre tristesse, qui a sa grandeur et sa sérénité. ?

C’est assez, c’est peut-être trop philosopher pour un journal de route. Je reviens à cette fin de journée du 16 juillet. — Nous rentrons dîner à l’hôtel. — Suite des contrastes et des petits incidents du voyage : ce matin nous étions 40 à table ; pressés que nous étions de repartir, nous n’avions pas parlé à nos voisins ; — ce soir nous ne sommes plus que 8 ou 9 ; avec nous, seulement les pensionnaires de l’hôtel, deux familles qui passent ici près d’un mois : M. B., fils d’un ancien maire du. érae, à Paris, et M. R., architecte, avec sa fille et une amie de sa fille. —

Nous causons avec agrément. En sortant de table, où elle a dîné avec un appétit de 20 ans, l’amie de Mlle R. trébuche, renverse deux chaises, se heurte à deux cloisons, et se sauve avec une maladresse qu’a redoublée sa timidité.

Tout le monde rit. — « C’est tous les jours comme cela », nous dit flegmatiquement M. R. « Germaine est grise de pain. »

Nous laissons cette bande joyeuse d’habitués jouer aux petits jeux dans ce qui sert de salon à l’hôtel, et nous allons nous perdre dans le brouillard qui a envahi subitement toute la région, et qui nous enlève le plaisir de compter les 13 phares qu’on y peut voir s’allumer, mais qui ajoute à l’impression du mystère et de l’immensité. Pendant deux heures nous errons dans un désert, bercés parole bruit incessant des vagues.

Mardi 17 juillet. — Pour emporter nos bagages jusqu’à Audierne, nous avons été obligés d’en faire venir, cette nuit, une voiture. Nous pédalons bon train jusqu’à Audierne, dépassant de beaucoup notre voiture, et nous avons ainsi le loisir de visiter Audierne — assez joli petit port — avant l’heure du train (9 h. 25). A Douarnenez, comme nous avons une heure d’arrêt entre deux trains, nous filons à bicyclette revoir le port. Il est bien plus pittoresque que l’avant-veille : les bateaux sardiniers y sont entrés en masse, voiles carguées, mais filets bleus à fin réseau attachés au plus haut des mâts et flottant au vent comme des voiles de femmes. — Nous reprenons le train.

Nous déjeunons en wagon, d’un excellent pâté de lièvre dont nous avons eu la précaution de nous munir, pour ne pas perdre un temps précieux et cependant ne pas mourir de faim. — Nous arrivons à Quimper à midi cinq : d’un bond à la cathédrale, qui est fort belle, et le long des quais de l’Odet, qui sont fort curieux : chaque maison a sa passerelle toute à elle. — D’un autre bond nous remontons dans notre train, qui part à 1 heure pour Pont-l’Abbé, où nous arrivons à 1 h. 40. — A 1 h. 42, nous roulons déjà à bicyclette, vers Penmarch. Route plate, pays plat. —

Note pittoresque en arrivant au village de Penmarch : rencontre d’une noce. Dommage que le costume des Bigoudènes ne soit pas toujours propre. Quand il est propre, il est ravissant. On peut en dire autant du costume des hommes. En cette partie de Penmarch tous ceux que nous rencontrons, même les moissonneurs qui travaillent pieds nus et chausses déguenillées, portent le gilet richement brodé à la main. « Un gilet ordinaire coûte 30 francs; mon gilet de noce m’a coûté 70 francs », nous dit un paysan. – Seuls, les gens de la noce sont (ou paraissent) propres…..

Retour de pêche avec godaille dans le panier rond…

Autour de la fontaine du Grand Port

…Devant les Halles.

Au Rosmeur en 1907.

Départ ou retour….Photos Thomas White


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