Les photos accompagnant l’article concernent la pêche au chalut
En ce jour ensoleillé et “en temps de paix” je vous propose de rendre visite aux anciens, ce 6 janvier 1941 glacial, avec ce journaliste parisien – chargé lui et ses confrères par le Maréchal Pétain d’aller à la rencontre de la France profonde, de celle qui travaille et non pas celle qui commence à organiser le marché noir et trafiquer en tous sens…nous pourrons les entrevoir ces anciens, calfeutrés dans le noir – défense passive – ces enfants qui, lanterne à la main vont à la messe, nous entendrons ce douarneniste opposé, comme tous les douarnenistes à la pêche au chalut, ces marins revenant à la “toile” pour naviguer et réduire les frais, après çà, je vous souhaite un “bon dimanche ensoleillé”…en temps de paix…
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LES PALANGRIERS DE DOUARNENEZ. VOUDRAIENT DU MAZOUT ET…DE LA TOILE CAR IL Y A ENCORE DES MARINS QUI SAVENT NAVIGUER À LA VOILE ET VOUS, QUI TROUVEZ LE POISSON RARE ET CHER, PENSEZ AU PETIT BATEAU QUI LUTTE CONTRE LE VENT AVEC SES SEPT HOMMES D’ÉQUIPAGE QUI SE DEMANDENT SI LE GRÉEMENT VA TENIR
DE L’ENVOYÉ SPÉCIAL DU MATIN
DOUARNENEZ, le 6 janvier 1941
Je débarquai à Douarnenez en pleine nuit. Il était, en effet, 8 heures du matin. Le train, que l’indicateur assurait être de voyageurs, mais qui devait être un train de marée, un frigorifique, à en juger par la température des wagons, avait quitté Quimper à 6 h. 43. Soit, 4 h. 43 au soleil.
Mais que je vais-parler de soleil, Il pleuvait. Plus exactement, il crachinait ce qui est pis.
En aveugle
Le chef de gare de Douarnenez était en règle avec la défense passive. Il faisait noir dans toute la station, autant que dans une boîte à sardines bien soudée. Mais on y était moins serré. Quelques rares ombres, qui étaient sans doute mes compagnons de route, tournaient sur la gauche. Je les suivis. Nous descendîmes, traversâmes un pont, remontâmes une côte et, après vingt minutes de chemin, nous trouvâmes dans une rue – .Je dis que c’était une rue, car je butai d’abord sur un trottoir, puis sur un mur. Les maisons étaient soigneusement aveuglées. Pas un rais de lumière. Je frappai à une porte. Personne ne répondit. Aveugles, les maisons étaient également sourdes et muettes. Un soupirail laissait voir un fournil. Je criai une adresse interrogative. Le boulanger lança un mot que je ne compris pas.
Plus loin, il y avait une pharmacie, dont l’imposte laissait filtrer une lumière verte. Je tirai la sonnette de nuit. Le pharmacien apparut: Qu’est-ce qu’il y a? La rue Laënnec, s’il vous plait ? Descendez tout droit. Première à droite. Merci. Donnez-moi aussi – le crachin me faisait tousser – un paquet de boules de gomme. Le bonbon dans la bouche, je remonte la rue Laënnec. Mais vas t’-en voir les numéros ! Fort heureusement, deux petites filles qui vont à la messe de 8 h. 30 avec une lanterne, comme jadis leurs grands-parents à la messe de minuit, dirigent gentiment leurs rayons vers le haut des portes. Je suis arrivé chez le président de l’Union des syndicats de mareyeurs du littoral français, la personnalité très renseignée et très aimable qui téléphonait, la veille, à Paris, de la chambre de commerce de Quimper.
Hier, nous nous occupions des conserves aujourd’hui, nous allons parler de la marée, du poisson frais.
Poisson frais
On dit que le poisson est cher, me dit le président. On me raconte, et cela doit être vrai, qu’on a payé le congre 24 francs le kilo dans le Centre et jusqu’à 50 francs à Lyon…Savez-vous combien nous le vendions à Douarnenez ? Six francs le kilo. Maintenant, cela n’arrivera plus. Depuis le 13 décembre, Il y a déjà 37 espèces de poisson taxées.»
Les Parisiens ne savent sans doute pas pourquoi le poisson est rare. Il y a plusieurs raisons, dont la plus importante est qu’actuellement nous sommes, pour la pêche en pleine morte-saison. Même en temps de paix la pêche aux maquereaux ne débutait qu’en février sur les côtes anglaises…mais les côtes anglaises, en ce moment! Les maquereaux ne viennent guère qu’en avril et mai sur nos côtes à nous. Et c’est en avril et mai, également, que reprenait ici la pêche pour le poisson flottant. »Le mot me surprend. Dans ma naïveté, je supposais que tous les poissons flottaient, même lorsqu’ils étaient morts. J’apprends que l’on appelle ainsi les bonnes sardines, richesse de Douarnenez et aussi les maquereaux déjà nommés, le thon et le poisson d’usine. Nous avons ici, poursuit le président, une cinquantaine de « palangriers ». Ce sont des bateaux qui pèchent au cordeau, à la palangre. Cette flotte se développe de plus en plus et, malgré ça, ce genre de pêche ne dépeuple pas les bancs comme le chalut.
Pêche au chalut
Le chalut, vous le savez peut-être, est un filet qui racle les fonds. Il ramasse tous les poissons nouveau-nés, qui ne peuvent servir à rien, comme les autres. Et il démolit la « maison des poissons », là où ils s’élèvent et croissent. » La palangre, qui est une ligne à gros hameçon, n’attrape que le poisson marchand, celui qui pèse de 1 à 2 kilos celui, comme son nom l’indique, qu’on peut vendre. Et manger, monsieur le président. Voilà Les chalutiers, consommant beaucoup de carburant, ne travaillent plus guère. Grâce à cela, à quelque chose malheur est bon, les fonds de la baie de Douarnenez se repeuplent. Nos palangriers peuvent y faire du bon travail. Une objection me vient: Mais ces palangriers n’utilisent-ils que la voile? Hélas non. Ils ont un moteur à mazout pour se rendre sur les lieux de pêche et un moteur à essence pour les treuils qui remontent les lignes. Mais ce dernier est un petit moteur. Il ne consomme pas beaucoup. Nos palangriers, en quatre ou cinq jours de pêche, peuvent ramener chacun une douzaine de tonnes de poisson marchand. Comme ils sont cinquante, vous voyez ce que notre port peut fournir. »Je crois savoir que l’on fait tout ce que l’on peut pour approvisionner en mazout et en essence ces artisans pécheurs qui sont bien dans l’époque difficile que nous traversons au point de vue ravitaillement, les plus intéressants des artisans. J’ai entendu, aussi, que l’on se préoccupait de réorganiser la flotte à voile. Heureusement, il y a encore des marins qui avaient conservé les mœurs ancestrales. Ce sont, de nos jours, ceux que l’on taxait d’arriérés les .mieux servis. Mais il faut, quand même, de bonnes voiles. En hiver, me dit un vieux pêcheur avec lequel je bois un calva dans un débit du port, en hiver, par gros temps les sept hommes de l’équipage sont à la merci d’un morceau de toile. Vous qui trouvez le poisson rare et cher, pensez au petit bateau qui lutte contre le vent, à ces sept hommes qui se demandent si leur « toile » va tenir.
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Autre article de Paris Soir du 9 janvier
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