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Je mets à profit les possibilités nouvelles de “mise en texte brut” des Pdf pour retirer certains articles qui, précédemment, étaient peu lisibles, à la limite rébarbatifs; ici, un article simple avec des éléments et statistiques intéressants, bien sûr, pour ceux “qui s’intéressent”. Bonne lecture
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La vie économique et particulièrement la pêche dans la Presqu’île du Cap Sizun [
Bulletin de l’Association de Géographes Français Année 1928
Malgré sa position maritime, la presqu’île du cap Sizun, située à l’extrémité occidentale de la Cornouaille, est une région surtout agricole où aucun coin de terre arable n’est perdu, même au sommet des falaises. En dehors des céréales, les Capistes cultivent des légumes et font de l’élevage. La lande joue un rôle important dans l’économie agricole comme litière, comme combustible et comme fourrage et sa valeur dépasse celle des terres à blé (6.000 francs l’ha., contre 4.000 à 5.000 francs). L’étendue moyenne de la propriété est de 12 ha. ; les grandes fermes de Beuzeç et de Cléden-Cap Sizun atteignent 25 à 30 ha; mais le morcellement est extrême : en Primelin, 10 ha. 42 sont divisés en 82 parcelles. Actuellement pourtant, les tentatives de remembrement par voie d’échanges sont assez fréquentes.
Quoique la faucille et le fléau soient encore d’un usage fréquent, on voit apparaître les batteuses mécaniques indivises entre plusieurs propriétaires ainsi que les machines agricoles à moteur, en Cléden et en Beuzec, L’ancien marché de Pont-Croix draine toute l’activité agricole du Cap.
Malgré une économie assez semblable dans son ensemble, un contraste intéressant existe entre la région nord et la région sud du Cap. La région nord est presque exclusivement agricole et compte peu de marins agriculteurs. Les côtes de la baie de Douarnenez sont trop abruptes et trop peu découpées pour offrir un abri sûr aux canots des homardiers; d’autre part, les territoires de Cléden, de Goulien, de Beuzec, s’étendant sur la dépression médiane du Cap, aux terres fertiles et à l’aspect bocager, tournent le dos à la mer dont elles sont séparées par d’immenses landes d’ajoncs et de bruyères. La région sud s’ouvre, au contraire, sur la baie d’Audierne aux côtes plus basses et découpées en criques facilement accessibles. Dans les communes de Plogoff et de Primelin vit une population qui préfère souvent le métier de journalier agricole aux aléas de la pêche.
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Dans leur ensemble, les côtes du Cap Sizun ne sont pas favorables aux ports de pêche ; c’est à la racine de la péninsule que sont établis Audierne et Douarnenez.
Bien que d’origine analogue, leur activité diverge de plus en plus, Audierne a atteint un point mort, Douarnenez est en plein essor, et en pleine transformation.
Le port d’Audierne, situé sur l’estuaire du Goyen, s’est établi au seul point abrité d’une baie dont les eaux sont très dangereuses à cause des écueils détachés du Cap et des courants, qui entraînaient autrefois, vers les paludes désertes du fond de la baie, les bateaux attirés par les torches des naufrageurs. Le développement d’Audierne date du xve siècle. Aux 17 & 18ème siècle, il faisait concurrence à Penmarch et à Pont-Labbé pour l’exportation des céréales vers la Guyenne, l’Espagne et la Provence. .Sa flottille transportait des blés du Cap jusqu’à Sète et Barcelone. Au 18 siècle encore Audierne était un port de relâche et, jusque vers 1880, il a exporté des blés, des poteaux de mines et des engrais. Mais les courants provoquent le colmatage de l’estuaire et le tirant d’eau n’est plus que de 3 mètres à mer pleine. Le chemin de fer à voie étroite qui relie Audierne à Douarnenez a précipité la décadence de l’activité commerciale. Audierne n’est plus aujourd’hui qu’un port de pêche côtière.
En dehors de la pêche du homard, toute l’activité du quartier d’Audierne se concentre à Audierne même et à Poulgoazec, hameau de Plouhinec, sur l’autre rive du Goyen. Un seul thonier représente la pêche hauturière ; les 524 voiliers d’un tonnage de 3.654 t. qui constituent là flottille pèchent surtout la sardine et la langouste.
Dès la fin de mars, on pêche la sardine de dérive ; mais la vraie saison sardinière ne débute qu’en juin avec la pêche à la rogue qui se fait au filet droit et dure jusqu’en’décembre. Les sardiniers d’Audierne (80 à 140 sloops) ne s’éloignent guère et jamais plus d’une douzaine d’heures; Le bateau qui revient tout gréé, à 20 ou 25.000 fr., appartient au patron, qui fournît les filets et les appâts, et touche la moitié du gain total plus sa part d’homme prélevée sur la moitié restante qui est partagée
entre l’équipage. –
Depuis 1925, certains voiliers sont pourvus de moteurs à essence (42 en 1927) dont l’usage, malgré les frais élevés et les dangers d’incendie se répand rapidement. C’est la pêche de la langouste pratiquée pendant toute l’année, en mortes eaux, par 150 sloops environ, qui donne au port d’Audierne tout son cachet. Il faut avoir assisté, à la tombée du jour, au départ des bateaux aux voiles bigarrées, qui sortent un à un au rythme lent de leurs longues rames.
En dehors de la sardine et des crustacés, le maquereau de ligne est pêché par huit chaloupes effectuant des sorties de 18 à 40 h, jusqu’à 50 milles au large des côtes (1).
La récolte du goémon d’épave, pratiquée par 600 pêcheurs à pied, intéresse l’agriculture qui utilise les 2/3 de la récolte et l’industrie qui utilise le reste dans deux usines, l’une à Audierne, l’autre à Pont-Croix produisant de l’iode, de la soude et des engrais.
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II faut réserver une mention spéciale à l’Île de Sein, qui dépend administrativement d’Audierne et dont le sol fait bien partie du Cap. On ne peut imaginer la désolation de ce récif qui émerge à peine des eaux et que les marées anormales coupent en plusieurs tronçons. Pas un arbre, quelques carrés de pommes de terre dans des enclos de pierre sèche, une cinquantaine de vaches et pas de chevaux, car on n’a pas de quoi les nourrir. Mais les habitants tiennent à leur bourg aux maisons serrées, aux ruelles étroites comme des couloirs et ils se défendent avec acharnement contre la mer qui gagne sans cesse. La population (1.123 hab.), est plutôt en voie d’accroissement, le nombre des enfants étant très élevé. Aux femmes, incombent touts les travaux de la terre même les plus durs. L’homme pèche, soit en mer, soit à pied sur là côte; Les îliens vivent isolés.
En hiver le ravitaillement est très difficile; ils se nourrissent de soupe de goémon et de poisson séché. Le pain est apporté deux fois par semaine par le courrier d’Audierne. Il n’y a pas d’école publique; mais une école de pêche compte une trentaine d’élèves.
La grande richesse des fonds assure donc au quartier d’Audierne une vie maritime active en dépit de l’ensablement du port.
A Audierne même, il n’y a guère que des sardiniers; les langoustiers, presque tous pêcheurs-agriculteurs, se recrutant dans le Cap et à Poulgoazec. La population, très honnête, est sympathique, malgré la réserve de son accueil. Très indiscipliné, le pêcheur d’Audierne est courageux sans être téméraire, ennemi de la violence, d’une imtprévoyance foncière. (Sur 524 bateaux du quartier, 50 seulement sont assurés pour une somme globale de 227.900 fr.). L’état sanitaire médiocre est dû peut-être à l’alcoolisme, mais surtout à la sous-alimentation. Malgré une assez forte émigration des jeunes et une mortalité assez élevée (21 0/00 en 1926), le chiffre de la population se maintient à peu près : 1906, 4.706 hab. ; 1921, 4.183 ; 1926, 4.186
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Toute autre est l’évolution du port de Douarnenez dont le rôle, dans le passé, a été à peu près semblable à celui d’Audierne: port de cabotage, d’exportation de céréales et de poisson séché, faisant également commerce avec la Guyenne, l’Espagne et la Provence, appartenant, comme Audierne, à la subdélégation de Pont-Croix. Le port de Douarnenez est admirablement situé; face au Menez-Hom, presque au pied de la montagne de Locronan, il tourne le dos à la haute mer, et, à l’abri de la Pointe du Leydé et de l’île Tristan, il évite le dangereux ressac du fond de la baie.
Il n’y a pas plus d’une quarantaine d’années, l’horizon de pêche des Douarnenistes était presque aussi limité que celui des pêcheurs d’Audierne, et, jusqu’en 1919, ils n’ont guère pratiqué que la pêche côtière. Douarnenez est d’ailleurs, encore maintenant un des principaux ports sardiniers de France et la pêche côtière s’y pratique à peu près dans les mêmes conditions qu’à Audierne; cependant les Douarnenistes vont toujours plus loin et une partie d’entre eux s’engagent, en hiver, sur les pinasses sardinières d’Arcachon et de St-Jean-de-Luz. De novembre à février se pratique aussi la pêche du sprat à l’entrée de la baie, née de nécessités industrielles et qui ne suffit pas à l’approvisionnement des usines.
Toute l’originalité de Douarnenez réside dans l’essor qu’y a pris, depuis la guerre, la pêche hauturière.
La pêche au large du maquereau n’est pratiquée que depuis 1923, par 70 dundees en moyenne, de février à mai, à l’entrée de la Manche, à l’W/S. W. des îles Scilly et, à l’W. N. W. d’Ouessant, Aussitôt achevée cette campagne, commence celle du thon que pratiquent 60 dundees, de juin à octobre, entre le-cap Ortégal et le Sud de l’Irlande. Douarnenez se place au 4e rang des ports thoniers bretons.
Mais plus intéressante encore, est la pêche lointaine : pêche de la langouste en Mauritanie et, de la sardine au Maroc, La première, pratiquée dans les eaux de Dakar et Konakry au Cap Vert, après avoir connu des périodes de grande activité, est plutôt en décadence : une dizaine de thoniers seulement y partent aujourd’hui pour trois ou quatre mois. La pêche de la sardine au Maroc ne date que de 1922. Une quinzaine de thoniers font, avec succès, chaque année, deux voyages en hiver.
Bientôt, les maquereautiers de ligne, pourvus de moteurs, élargiront aussi leur horizon : plusieurs Douarnenistes iront cet hiver pêcher dans la mer du Nord, le long des côtes de Belgique.
En somme, il est intéressant de constater que deux ports aussi proches l’un de l’autre qu’Audierne et Douarnenez, tous deux ports de commerce de céréales jusqu’à la Révolution et même au delà, après avoir été ports de pêche côtière jusqu’à la guerre, ont maintenant deux modes d’activité complètement différents : Audierne reste le port classique de la pêche « en vue du clocher », et son évolution est tout à fait arrêtée. Douarnenez, au contraire, se transforme totalement. De plus en plus la pêche côtière passe au second plan, et, sans toutefois pratiquer la grande pêche, le Douarneniste qui est un marin très hardi, parfois même téméraire, s’adonne de plus en plus à la pêche au large et à la pêche lointaine.
Rapport de quelques pêches à Douarnenez en 1927 :
Sardines, 4.629.935 fr.
Poissons divers, 915.000 fr.
Sprat, 305.000 fr.
Crustacés, 1.077,215 fr.
Thon, 3.063.627 fr.
Sardines du Maroc, 384.920 fr., etc.
Rapport de la pêche à Audierne en1927 :
Sardines, 5.510.534 fr.
Langoustes. 2.150.806 fr
Homards et Crabes, 611.828 fr.
Maquereaux, 864.219 fr.
Poissons divers, 200.000 fr. environ.
Quantités de crustacés pêchés à Sein en 1927 :
Homards, 32.420 kg
Langoustes ; 49.352 kg
Crabes, 31.140 kg
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